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Les Béatitudes et la déconstruction du désir
Extrait du chapitre "Façons d'y voir clair"
dans Quinze regards sur le corps livré

« Qui donnera l’exemple d’un renoncement aux désirs, et, par exemple, à celui de biens économiques dont la rareté fait tout le prix ? »

   Le monde chrétien ne connaît plus les vieilles séparations ; il est un monde désacralisé.

Mais – conséquence qui est une autre nouveauté, apparemment trop nouvelle pour notre vieillerie fin de siècle – la désacralisation du monde rend plus nécessaire celle du désir. « Tout est à vous », soit, mais pour quoi faire ? « Que sert à l’homme de gagner l’univers, s’il vient à se perdre lui-même ? » Prenons-y garde : la désacralisation met en péril les remparts de la cité, à quoi le stratagème était bien utile ! Elle va donc fonctionner pour notre malheur si elle ne porte que sur le monde, et si notre désir lui-même n’est pas désacralisé. Car dans ce cas, la convoitise absurde du désir d’appropriation va devenir de plus en plus dangereuse (c’est le bon message de l’écologie).

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   D’une part, nous ne pouvons plus croire aux anciennes cultures sacrificielles. Le retour du sacré, dont on parle parfois, est très ambigu ; stricto sensu, il me ferait peur, s’il était réellement possible ; ses résurgences sectaires en donnent une idée ! Et voilà que l’écologie (c’est son mauvais message) nous le propose parfois sous la forme perverse d’un « droit des choses » ! Ce n’est pas de ce côté, mais du côté de l’esprit que peut être justifié le nécessaire renoncement.

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   D’autre part, la conquête scientifique d’une nature “laïcisée” accroît indéfiniment notre pouvoir, notamment celui de nous nuire. Car si ce pouvoir est mis au service d’un désir tenu lui-même pour sacré (c’est sans doute ce qui nous menace), nous pouvons tout craindre de la science.

Permissivité, consumérisme, productivisme, même combat !

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   Le déclin du communisme n’est peut-être qu’un répit. Chacun se demande, à l’heure du terrorisme et dans la généralisation de l’état de “dissociété”, – c’est à dire du mimétisme comme principe même du fonctionnement collectif ! – de quel ressentiment nous pouvons demain devenir l’objet… ou le sujet. Qui donnera l’exemple d’un renoncement aux désirs, et, par exemple, à celui de biens économiques dont la rareté fait tout le prix ? Qui ralentira la course folle ? Ou encore – autre exemple, non moins dangereux – qui renoncera à vanter une liberté amoureuse sans frein ? Quels parents donneront demain aux enfants le repère du point fixe, à partir duquel se rend pensable et désirable la paternité même de Dieu ?

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