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Comment la rédemption a été dite
Extrait du chapitre "La Cène et la Croix"
dans
 Quinze regards sur le corps livré

« Mais de Sa mort à nos péchés, quel rapport ? La relation étant à la fois indiscutée et obscure, la Rédemption est souvent restée dans les coulisses de la théologie. »

   N’ayant pas fait l’objet de controverses, comme l’Incarnation ou la Trinité, la Rédemption n’a pas eu l’honneur de ces définitions dogmatiques que nous ont données les grands conciles des premiers siècles. Jésus-Christ est venu pour nous sauver de nos péchés, et il a opéré ce salut par sa mort, telle est la foi de l’Église. « Mort pour nos péchés », l’affirmation est partout dans le Nouveau Testament, de l’institution de la Cène aux grandes synthèses théologiques de Jean et de Paul. Mais de sa mort à nos péchés, quel rapport ? La relation étant à la fois indiscutée et obscure, la Rédemption est souvent restée dans les coulisses de la théologie.

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   La Réforme – et le jansénisme – insisteront avec une sensibilité souvent doloriste sur l’expiation du péché, qui a besoin d’une rançon infinie en tant qu’il offense un être infini. Une véritable histoire du concept de Rédemption (je ne songe même pas à l’esquisser) m’obligerait à dire les richesses et les confusions qu’y apporte le romantisme. Marquons seulement les positions des trois derniers conciles, en notant que sur cette question le magistère a été rare et discret.

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   Le concile de Trente, ratifiant la foi de toujours, affirme que Jésus nous a mérité la grâce comme fruit de sa sainte Passion. Il précise que sa mort a tous les caractères d’un sacrifice parfait, et il introduit “officiellement” le terme de satisfaction, qui désigne la cause méritoire de cette grâce :

 

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   « Notre Seigneur Jésus-Christ, qui nous aima d’un si grand amour dans le temps de notre inimitié, nous mérita la justification sur le bois de la croix par sa très sainte passion, et satisfit pour nous à Dieu son Père. » Le Catéchisme du Concile de Trente précisera, au sujet de la satisfaction : « La satisfaction est le paiement intégral d’une dette. Car qui dit satisfaction, dit une chose à laquelle rien ne manque. Par exemple, en matière de réconciliation, satisfaire signifie accorder à un cœur irrité tout ce qu’il faut pour le venger de l’injure qu’on lui a faite. » [1]

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   Lors du concile Vatican I il sera fait usage du même terme dans le projet De Doctrina Catholica soumis aux Pères le 10 décembre 1869 (et encore dans sa rédaction amendée d’après les remarques de ces derniers) ; le schéma prévoyait cette conclusion : « Nous réprouvons comme professant une doctrine hérétique quiconque dirait que ce n’est pas Dieu le Verbe lui-même par sa nature humaine qui a vraiment satisfait pour nous à Dieu offensé et qui a mérité pour nous par sa passion et sa mort, ou encore quiconque oserait affirmer que cette satisfactio vicaria d’un seul médiateur pour tous répugne à la justice divine. » [2]

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   Le concile Vatican II réitère une affirmation sur la Rédemption par la Croix, y juxtapose très judicieusement – quoique de façon apparemment abrupte – une affirmation sur l’Eucharistie sacrement de l’unité, mais n’essaie plus d’éclairer la signification de la mort salutaire : « Chaque fois que se célèbre sur l’autel le sacrifice de la Croix, dans lequel le Christ, notre Pâque, a été immolé (1 Co 5,7), s’accomplit l’œuvre de notre Rédemption. De même, par le sacrement du pain eucharistique, est représentée et réalisée l’unité des fidèles, qui constituent un seul corps dans le Christ (cf 1 Co 10,17). » [3]

 

   Dans ce texte de « Lumen gentium », l’absence de référence aux idées d’expiation et de satisfaction, l’emploi non éclairci du terme “sacrifice”, traduisent une difficulté. Les deux précédents conciles utilisaient des formules très sobres, et dont les références aux humains usages voulaient qu’elles fussent comprises mutatis mutandis, mais ces formules ouvraient la porte à des commentaires qui allaient bon train ! Honneur de Dieu, colère de Dieu, punition qui “apaise”, ce langage n’est plus reçu. Certes, il ne s’est jamais fait recevoir qu’au bénéfice de ce que l’on savait être une manière de parler, mais il devenait parfois un pur outrage au Seigneur, qui en dit long sur la méconnaissance séculaire d’un Amour pourtant révélé. Soit notre « Minuit, chrétiens », tant regretté paraît-il, où le Sauveur vient « de son Père apaiser le courroux ». Soit le cantique des Réformés, qui n’étaient pas en reste : « L’inexorable Loi saisissait sa victime / Un sang d’un prix immense apaise sa fureur. » La sottise de certains cantiques a ceci de désarmant qu’elle est franche et sans retenue. Par une erreur symétrique à celle de nos ancêtres, nous chantons maintenant que « vivre au cœur du monde, c’est vivre au cœur de Dieu ». À chaque théologie sa déficience… Qui en voudrait à certains d’avoir douté ? Il faut une foi solide pour résister à l’épreuve de ces ombres portées sur Dieu de nos haines ou de nos abandons.

 

 

LIQUIDATION DE LA MORT RÉDEMPTRICE

 

   Mais si on ne dit pas cela, que dire ? C’est pourquoi, en général, on ne dit rien, et l’on va proclamant – c’est aujourd’hui – un salut qui fait l’agréable économie du Vendredi-Saint. Telle note doctrinale, et collégiale, sur « le Christ Fils du Dieu vivant » annonce une Incarnation et une Résurrection entre lesquelles il semble qu’on n’ait pas vu passer la mort. « Nous sommes sauvés, peut-on y lire, par Jésus-Christ ressuscité. » On y affirme aussi « le réalisme de l’Incarnation » et tout se résume en ceci : « La résurrection de Jésus est une reconnaissance par Dieu de tout le message de Jésus et plus particulièrement de l’affirmation centrale de ce message : Jésus de Nazareth, fils de Dieu devenu homme, est le sauveur de tous les hommes. » Comment dit-on en araméen « faire l’impasse » ?

 

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[1] Catéchisme du Saint Concile de Trente. ch. 24, 1 : cité dans Itinéraires, N° spécial sept-oct 1969, 283 ; cf. J. Rivière. op. cit., p. 114 s.

[2] Cf. J. Rivière, op. cit., p. 116-120. textes dans Collectio Lacens, t. VII, col. 515, 543 s., 561, 566.

[3Lumen Gentium, 3

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