La Statue du Commandeur
Don Giovanni de Mozart
Extrait des Saisons de Saint-Jean
n°20 - hiver 1987
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à J. F.
Après tumulte, cascades et force dévoiements, don Giovanni et son laquais se retrouvent devant le tombeau du commandeur dont la statue déjà dressée promet vengeance à l’audacieux qui le tua. Voici le criminel devant l’évidence de son crime, devenue monument à la victime. Mais, “jeune homme extrêmement licencieux” comme dit le livret, don Giovanni se soucie peu de la menace. Il laisse les morts enterrer les morts, et confie à Leporello, héraut impuissant de l’ordre, valet de tout et d’abord de sa propre crainte, le soin de commercer avec la statue qui s’est mise à parler, puis à bouger la tête. — Entendez, voyez, je tremble ! s’écrie le petit lièvre. — Invite-le à dîner, répond le libertin, qui croit encore à quelque plaisanterie. Voyant lui-même enfin cette tête qui remue, il persiste dans son audace...
Le festin de don Giovanni est servi, « déjà la table est prête » ; le maître dévore, le valet grappille, le maître se moque, le valet bafouille ; l’épouse rentre, suppliante : pour la dernière fois, don Giovanni, changez de vie ! — Changer de vie ! Mangez plutôt avec moi, et vive les femmes ! Elvire s’enfuit, désespérée.
Un cri, soudain. —Va voir, Leporello...
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Seigneur, la statue s’est mise en marche ; elle arrive, elle se rend à votre invitation. L’homme de pierre ! l’homme blanc ! Si vous entendiez son terrible pas: ta ta ta ta...
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On frappe à la porte. Leporello se terre, don Giovanni ouvre lui-même:l’ultime face à face est commencé. —Tu m’as invité, me
voici. — Leporello, un couvert de plus ! —Je n’ai que faire de nourriture terrestre; mais je t’invite à mon tour: viendras-tu souper avec moi ? — Personne n’a pu me traiter de lâche ! — Alors, prends ma main !... Et don Giovanni saisit la main de pierre ; il ne pourra plus s’en délivrer. —Repens-toi maintenant! —Jamais! —Repens-toi ! —Jamais !... Impénitence finale ; don Giovanni est précipité dans les flammes, qui seront les moindres de ses tourments.
Et chacun d’applaudir à cette conclusion de la justice ; tout rentre dans l’ordre, Anna épousera Ottavio et Masetto Zerlina, le valet trouvera à l’auberge un meilleur patron, cependant que la veuve fermera sur elle la porte du cloître. Fine dell’opera.
Commencement du doute. Quid de l’étrange histoire, et de notre malaise? Evoquant les délices musicales à quoi telle représentation avait borné l’ouvrage, Claude Samuel écrit : « Le pur plaisir n’est sans doute pas une dimension négligeable, ayant l’inconvénient pourtant d’occulter le malaise, l’inquiétude profonde, l’insupportable ébranlement que les discours de Mozart et de da Ponte peuvent légitimement provoquer. »
Faire supporter l’insupportable, c’est bien l’office du théâtre, mais il semble justement que la texture de l’œuvre y fasse obstacle, comme si elle exhibait la contradiction qu’elle aurait dû plutôt masquer. Voilà de quoi tenter le zèle des nouveaux démiurges, je veux dire ces metteurs en scène qui vont au théâtre refaire le monde, faute d’y être parvenu dans la rue, ou dans leur domestique. Ils peuvent s’y employer de plusieurs façons :
Première figure :
Don Giovanni est exalté au-dessus du troupeau de bourgeois parmi lesquels il passe comme un révélateur.
Sans lui, Anna ne saurait pas qu’elle a un corps, et, serrée de trop près, cette nouvelle Chimène ne se remet pas de la découverte... Si elle en veut si fort à Ottavio, n’est-ce pas de l’avoir laissée dans l’ignorance ?
Sans lui, Zerlina n’aurait pas appris qu’il existe un monde de grâces et de lumières, de musiques et de parfums, au delà des quatre arpents de métairie boueuse où son Masetto prétendait la confiner pour de rustiques étreintes.
Sans lui, Elvire n’aurait pas déployé les vives couleurs d’une âme sensible, que la passion fait flamber, et qui ne résiste pas à l’appel de l’amour (qui sait? de la partouze même? Il paraît qu’elle a reconnu Leporello, mais qu’elle n’est pas si mécontente de recevoir ce présent de son mari...).
On peut dérouler ce fil, il va jusqu’à la mort, quand le commandeur, engloutissant le téméraire, restaurera pour quelque temps un ordre bourgeois qui vient de trembler sur ses bases. Mais déjà le monde murmure ce que don Giovanni a fait éclater: «Viva la liberta ! »
Facile à écrire, difficile à croire; il faut toute la violence qu’un metteur en scène peut de nos jours faire subir à un ouvrage pour monter “don Giovanni” de cette façon.
Car le libertin est un coupable, ni le texte, ni la musique ne le laissent oublier. Licencieux, certes, mais pire encore : voyez-le, dans l’embarras, donner le change, et lancer la meute sur Leporello ; on peut aussi penser qu’il ne déteste pas se débarrasser de sa femme dans les bras du laquais, avec l’espoir de compléter le quatuor en courtisant lui-même la servante ; il ment, il tue, il outrage ; il abuse de sa condition pour écarter le paysan et lui ravir la fille ; car ravir est mieux que recevoir. Les filles, justement, il aime les forcer, Anna, Zerlina... c’est la bienséance théâtrale qui a voulu qu’il n’y réussît point.
Suivez cette pente, elle dessine la deuxième figure: le héros sulfureux, l’incarnation du mal, et une récente mise en scène montre beaucoup d’attrait pour cette course éperdue à l’abîme. Les charmes poivrés de la petite frappe tiennent au dégoûtant de son personnage : plus loin que le gros tapage fatigué de la chair, au delà même du sale et du cynique, don Giovanni s’enfonce dans l’ordure, bâfre dans le cercueil de sa victime, fait lever les spectres qui le reconnaissent sans doute à son odeur comme leur compagnon de ténèbres.
Pourquoi pas? Ce romantisme décomposé ne compose pas mal avec les couleurs de notre temps : circulez, y a rien à croire !
Or, c’est un autre contresens. Don Giovanni virevolte, lutine et ment à plaisir, mais il ne combine rien, l’enfant trop chéri. Otez-lui la fraîcheur, vous lui ôtez le charme et la vérité de ses émotions les plus belles. En voici trois, incontestables par quiconque a des oreilles pour la musique :
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La ci darem la mano, (duo avec Zerlina) :
Ceci est l’amour, ou le séducteur séduit, car il ne faut pas être grand psychologue pour sentir que Zerlina mène le jeu. «Je voudrais et je ne voudrais pas» dit-elle. C’est plus qu’il n’en faut pour qu’il promette le mariage (combien d’hommes ont signé pour moins que ça!), et pour qu’il imagine un innocente amor. De ces promesses, serait-elle la dupe? Non, mais plutôt lui: dès qu’il voudra autre chose, elle criera assez fort pour qu’on le chasse, ce loser qui d’un bout à l’autre de la pièce propose, quand le mauvais sort dispose de lui.
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Ah ! gia cadde il sciagurato, (trio de la mort du commandeur) :
Ceci est la pitié, plus forte encore que l’amour, plus saisissante. On le provoque en duel, il se bat, il gagne, mais aussitôt la plus noble émotion emplit l’espace, suspend le trépas, convoque l’infini par la musique de la plainte. Cette musique, écoutons-la de près, avec Gounod par exemple, qui n’en peut plus d’admiration, et la commente en homme de l’art comme en homme de cœur:
« La gravité lugubre du mouvement, l’uniformité rythmique des triolets de violons sur les tenues des instruments à vent, les basses, en quelque sorte interdites devant ce meurtre, et marquant, avec une régularité glaciale, le premier et le troisième temps de la mesure, l’agencement de ces trois voix de basse qui se meuvent, chacune dans son caractère, avec une aisance et une liberté prodigieuses, tout cela répand, sur cette scène inoubliable, une stupeur que la plume de Dante et le pinceau de Michel-Ange n’ont point surpassée. »[1]
J’y souscris, sauf à la formule chacune dans son caractère. Lepo- rello est dans son caractère de témoin horrifié, le commandeur est dans son caractère (mieux: sa situation) d’homme qui perd la vie; chacune des deux lignes musicales suit étroitement son personnage. Mais ce n’est pas vrai de don Giovanni : il n’est plus effronté ni cruel, encore moins cynique ! Don Giovanni est dans la stupeur et la compassion. A lui seul la ligne de pitié, descentes chromatiques, remontées par intervalles déchirants : « il tombe, le malheureux... » Douleur naïve, comme d’une première fois. Car ce qui arrive excède infiniment sa colère. Il a donné le coup, mais qui donc a donné la mort ?
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No, no, ch’io non mi pento, (ultime dialogue avec le commandeur) :
Ceci est le courage. Nous frémissons, comme Leporello, quand don Giovanni refuse de se repentir... et nous l’admirons en secret, petite tache rouge dans l’infini du blanc et du noir. Si c’est là le jugement de Dieu, qui ne préférerait à son pouvoir la révolte humaine? La vieille religion s’ensevelit dans l’évidente injustice de cet écrasement ; qui est-on, là-bas, pour n’avoir d’autre argument que la peur? A ce prix, « non, non, je ne me repens pas ! »
Nous voici au fort du malaise : celui qu’on engloutit est en même temps le héros et le coupable. Non pas “ ni tout à fait bon, ni tout à fait méchant ”, comme Phèdre, vous ou moi, mais tout à fait bon et tout à fait méchant : drôle de fin pour une pièce ! Rien ne sert d’occulter l’un ou l’autre des deux visages. Don Giovanni est un monstre, peut-être au sens heideggerien: il “montre” dans la direction de ce qui s’absente, il désigne un vide.
N’est-ce pas le cas d’autres figures du grand art, qui justement sont devenues populaires, et ouvrent une brèche dans le mur clos de la culture? Tout le monde connaît le Quijote chargeant les moulins, Hamlet parlant au crâne du bouffon... plus rien en face! On a déversé des tonnes de commentaires sur leurs motifs et leurs tournures ; en pure perte : l’analyse d’âme la plus raffinée n’est pas à leurs dimensions.[2] Ainsi en va-t-il pour don Giovanni. Ne pas trop mélanger baryton et psychologie ; on chercherait en vain, pour le rôle-titre de notre opéra, cette belle caractérisation de “personnage” qu’un acteur aime à composer. [3] Pas plus que Hamlet ou le Quijote, don Giovanni n’est quelqu’un. Ni moi, ni un tel, ni un “ type ”. Et pourtant, tout le contraire d’un mystère ; une énigme plutôt, l’énigme de notre modernité, dont il est le héros clairement reconnu.
Maintenant, que voit-on au bout de sa main, sinon une autre figure aussi célèbre qu’inquiétante et vide, cette statue du commandeur qui se dresse dans les carrefours où l’on n’a guère souci d’entendre Molière ou d’écouter Mozart? «Alors il est entré comme la statue du commandeur»... brrr! tout le monde comprend.
Et, sourdement, tout le monde désapprouve. Sourdement, car l’évidence de la statue n’échappe à personne. Quelle énormité, cette invitation ! Comme don Giovanni aurait dû se taire, respecter les morts, contourner le monument du pas le plus léger ! Dans la salle du festin, voilà le bloc de pierre à présent qui arrive, qui revient plutôt. L’entendez-vous? Ta, ta, ta, ta.... Stupéfaction!
C’est rare, en effet, une statue qui marche, puisque c’est conçu pour ne pas marcher. Puisque c’est inventé pour ensevelir le mort dans son au delà. Tumulus à l’origine, tas de cailloux sous lequel on enfouit le cadavre, site marqué par lapidation.[4] La compacité du monument funéraire écrase l’ombre de son poids, et de son repos fonde la cité. A partir des tombeaux, directions et distances se stabilisent. (Sous le point zéro de nos capitales, depuis lequel s’apprécient tous les kilomètres - parvis de Notre-Dame, Puerta del Sol... - on n’aurait sans doute pas de peine à déterrer des ossements). L’ordonnance sociale, prolongation civile du rite religieux, attribue les rôles et solidifie les différences. Comme tout événement de sang, le meurtre du commandeur va être occasion de renforcer l’ordre qu’il dérange: cérémonie funèbre, commémorations multiples, et surtout, pour perpétuité, mise en place du tombeau ; nous édifions le monument pour qu’il nous édifie à son tour. Le travail de deuil nous confirme dans le savoir des limites, du territoire, du sens. Toujours la religion recommence, et son immémoriale vertu de paix des cimetières, son enfermement glacé.
Depuis bien longtemps, on ne fait plus, au sens strict, des sacrifices, qui procuraient l’ordre par l’émission victimaire constitutive du sacré. Mais demeure l’efficace de la cérémonie, comme le juron soulage toujours. Ainsi chaque mort ajoute au pouvoir pacifiant des victimes déjà exclues. Et comment ne serait-ce pas plus vrai encore de la mort d’un “commandeur”, dont la fonction est forcément sacrale? Un mort, une pierre dressée. Pour que la violence ne revienne pas, nous respecterons toutes les bornes, nous mettrons un frein à toutes nos passions. Grâce aux dieux, nous avons gagné l’immobile.
Don Giovanni est subversif parce qu’il porte la lumière dans ce recès ombreux. La loi n’est plus sacrée, ni rien n’est sacré ; tout est à lui, et ce qui est à lui est aux autres : il invite, il régale, il dissipe. « Puisque j’ai dépensé mes deniers, je veux donc me divertir», c’est le dernier tableau : il paie des musiciens, laisse manger Leporello, offre un couvert à Elvire, bientôt un autre au commandeur. Quand la mort est suspendue sur lui, il dilapide ! C’est l’acte exactement contraire à l’édification d’un tombeau.
Naturellement, la violence revient ; rien ne la sollicite comme le désordre, puisque l’ordre fut inventé pour garantir son non-retour. Don Giovanni dilapide ? La pierre elle-même se met en marche, sort du cimetière, frappe à la porte, le mort saisit le vif, la superstition funéraire (au sens strict, ce qui est construit sur le cadavre) dévore l’esprit fort qui refuse d’y croire. Le héros des lumières est avalé par les ténèbres. Ne sait-il pas qu’il faut nourrir les morts ? Cela s’appelle les obsèques, ces offrandes sur les tombeaux que rappellent encore nos fleurs et nos couronnes ; il faut les nourrir où ils sont, pour qu’ils ne viennent pas manger à notre table ! Le crime de don Giovanni n’est pas tant d’avoir tué le commandeur que d’avoir invité la statue à souper. D’avoir défié “le repos”, comme on dit, (entendez l’immobilité), de cette garantie extérieure (ou sacrée) de notre ordre social.
Contradiction de l’âge des lumières: à l’heure où 1’(apparente) raison défait 1’(apparente) religion, une crise de moralisme tente de compenser frénétiquement le désordre prévisible et dangereux des mœurs. On lit cela à livre ouvert dans “La nouvelle Héloïse”, les tableaux de Greuze ou les drames de Diderot. “ Don Giovanni” est aussi la version chantée de “La malédiction du père de famille”.
Et pas de faiblesse pour les ennemis de la société ! Aussi l’appel au repentir prend-il la forme d’une mise en demeure judiciaire ; qui serait assez fou pour aimer don Giovanni plus qu’il n’a aimé ses souillures? Débarrassée du manteau de l’ignorance (sortie des miasmes de la dégradante “rédemption”), la vertu régnera par la seule terreur de sa justice. Du côté de Dieu, les choses ont pris un coup de froid ; l’incroyance rationaliste est prête à mettre son horrible confiance dans les Révolutions à venir.
Du côté du sujet, l’aiguille s’affole, et ceci explique cela. Don Giovanni ne connaît pas les vrais biens, la “ raison” vient d’en dissoudre la mystique présence. «Tu nous as faits pour Toi... », rêveries ! Nous ne sommes que pour nous, mais la perte du Suprême désirable abandonne à chaque instant (au temps en miettes) le soin de désigner le désiré : ceci, cela, et toujours autre chose. Celle-ci, celle-là, et puis la petite nouvelle. Aucun attrait qui tienne à l’être même : chacune n’est plus rien que l’autre de la précédente. Ainsi marche le désir, fou d’être sans objet. Considérez Elvire : désirable, au seul motif d’être l’autre d’elle-même ! Cet effet, obtenu chez Molière par le port de l’habit religieux, a ici son équivalent, plus abstrait mais presque plus fort : ce que don Giovanni désire en sa femme, c’est l’oiseau abandonné (par lui-même!). Certes, on dira que c’est par quiproquo, mais cette vieille ficelle de théâtre décore et masque une perversion si naturelle à l’amour: je te fais pleurer pour t’aimer à neuf. Est-ce tellement rare ? Quel ennui, l’amour ! (Quelle solitude...) Comme il faut en varier le jeu ! Si l’on ne peut plus aimer en Dieu, aimer Dieu en celle qu’on aime, je ne vois pas qu’on puisse aimer grand-monde pour de vrai. La dissolution des vrais biens fait les jeunes gens dissolus. “Don Giovanni ossia il dissoluto punito”: puni par dissolution, voilà le vrai tourment que peut redouter l’époque critique. Nous sommes si peu de chose, un peu de matière à désespérer. La suite, je veux dire la damnation de théâtre, n’est que le brusque et quasi-névrotique retour à une inhumaine sommation, destinée à sauvegarder les apparences de l’ordre. Mais on ne peut plus y croire... et cependant personne ici ne peut décharger le coupable de ses crimes... Le voilà, le juste malaise qu’il ne sert à rien de cacher.[5]
Humainement, il ne reste plus qu’à inventer la guillotine, ou la littérature du marquis de Sade. Plus probablement l’une et l’autre.
Surnaturellement, il est toujours l’heure de regarder l’invisible, de croire que la grille qui se ferme sur le cloître d’Elvire ouvre une autre façon d’aimer, et porte jusqu’au coupable la prière des innocents. Est-il vrai qu’il soit inaccessible, cet homme que la pitié troubla dès son premier crime? A l’autre bout de l’ouvrage, je sais un Leporello qui eut l’inspiration scénique de verser un pleur sur son maître. Intuition de l’amour, gracieuse trouvaille des choses d’en haut? Ce mystère n’est pas le nôtre. Dieu seul le sonde, dans les reins et dans les cœurs. Ce serait ne plus croire que cesser de craindre et cesser d’espérer. Oui, terrible mystère : l’Amour, qui peut tout pardonner, ne nous arrachera pas sans nous au spectacle de notre dissolution.
[1] Charles Gounod : Le don Juan de Mozart (Les Introuvables - Editions d’aujourd’hui).
[2] C’est de la philosophie qu’il nous faut, et plutôt de la bonne. Voir donc René Girard: pour le Quijote, le chapitre premier de “Mensonge romantique et vérité romanesque ” ; pour Hamlet, “ La morne vengeance de Hamlet ”, n° 15 et 16 des “Saisons de Saint-Jean”.
[3] Et sur les tréteaux, comment s’en sortir? Se fier au texte, comme toujours, c’est à dire à la musique, qui ne ment pas, et par chacune de ses phrases, parfois de ses mesures, indique avec clarté l’impulsion de l’instant. Il faut être un “primaire” pour chanter don Giovanni, un instinctif; Bacquié, plutôt que Fischer-Dieskau ; celui qui pense trop le rôle passe à côté du rôle.
[4] Derechef, lire Michel Serres, “Statues”, dont on parle au chapitre précédent !
[5] La meilleure mise en scène sera toujours celle qui ne voudra pas avoir plus d’esprit que la musique, et respectera de l’œuvre les plus légères indications comme les plus fortes ambiguïtés. Pour “Don Giovanni”, cela inclut le charme, l’horreur, le désarroi. Rien n’est de trop, et l’on peut toujours rêver sur cette étrange histoire, qui n’aurait plus grand-chose à nous dire si elle était tout à fait au clair avec elle-même. C’est cette rêverie qu’ici j’ai voulu tenter. Peut-être ne l’aurais-je pas fait si je n’avais vu le spectacle que Pierre Malbos présenta ce printemps à l’opéra de Rennes, modèle de grâce et de probité.
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