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Grandeur du sport
Extrait de La Télé sans écran

mots-clés: Sport, Sacrifice, Guerre, Mimétique 

   – Le sport nous encombre. On ne voit plus que ça à la télé !

 

   – Il ne tient qu’à vous de changer de chaîne ; ou de faire autre chose, pour ne plus en porter.

 

   – Le temps est mauvais, je coucoune ; mais furieux de buter toujours sur ces jeux inconséquents.

 

   – Plein de conséquences au contraire. Et d’antécédents ! J’aimerais bien vous en instruire…

 

   – C’est la retraite qui vous travaille ? Vous n’avez plus personne à embêter ?

 

   – Voilà. Et c’est ce qui me fait écrire des articles.

 

   – Eh bien, quand on joue à la balle, à quoi on joue ?

 

   – Le principe en est simple : mettre la victime (dont la ‘balle’ est la tête figurée) hors de chez nous, dans le camp de la tribu adverse, et quand on le peut, dans son nid.

 

   – En somme, c’est une variante du sacrifice ? Vous en venez toujours là.

 

   – Pas moi, les hommes. Mais ce sacrifice est symbolique. Vous voyez bien que les costumes, les règlements, les temps, les lieux, y sont définis plus strictement que partout. La première civilisation de la « liberté » a eu besoin d’obligations rassurantes comme des rites.

   De même pour les sentiments, définis à l’avance. Papa, pour qui on est ? demandait Robert-André avant une retransmission de match. Si on n’est pour personne, en effet, c’est peut-être encore un spectacle, ou un exercice, mais ce n’est plus un sport. L’inquiétude, la délivrance, l’hostilité, la camaraderie (jusqu’à l’unanimisme !) sont lisibles sur tous les terrains, et beaucoup plus dans les tribunes.

 

   – Pourquoi beaucoup plus ? Les spectateurs joueraient-ils le jeu plus que les acteurs ?

 

   – En un sens, oui. Les spectateurs restent dans le fantasme. Les joueurs, éprouvant – même si c’est sous protection de la règle – la violence du combat, rencontrent la réalité. Et dans la réalité, le type d’en face – celui dont on voit la face – est un autre soi-même, au bout du compte, au bout des chocs donnés et reçus. À preuve, l’échange des maillots, si spontané, si éclairant, et si mal vu dans les tribunes, où certains persistent à croire que nous c’est les bons et eux les mauvais.

   Rien n’est plus faux, évidemment. Le sport est un jeu terrible deux fois contredit : par la règle, qui le condamne à ne faire que ‘semblant’ (les matches les plus durs ne sont quand même pas des meurtres), et par l’estime, parfois affectueuse, qui peut unir à la fin les adversaires. Noah soulevant Edberg au terme de la coupe Davis… quel beau geste, vous ne trouvez pas ?

 

   – Oui, et il a emporté l’adhésion de tous, nous emmenant plus haut que la victoire.

 

   – De sorte que les jeux de balle, nés pour imiter le meurtre sacrificiel de l’être à exclure (nous n’avons pas ici le loisir d’analyser leurs différences, mais il le faudrait), ont la gloire de pouvoir s’achever par leur contraire. On loue, parmi les vertus sportives, ‘le sens de l’équipe’, et les dévouements qui vont avec. Mais cela n’est pas aux humains bien difficile : c’est la petite guerre, qui continue la grande.

   Elle ne me suffit pas.

   J’aime beaucoup visiter les cimetières militaires de Normandie. Mais après Omaha Beach, si émouvant ! je tâche d’aller m’incliner sur les tombes allemandes, dans les lieux qu’on leur a dignement réservés. Et vous ne m’empêcherez pas de prier pour tous.

 

   Une des histoires vraies que je préfère se rapporte à la guerre de Vendée. Le général Bonchamps, blessé à mort sur sa terre natale, demanda que fussent graciés les prisonniers ‘bleus’, qu’on s’apprêtait à passer par les armes pour venger les prisonniers ‘blancs’ ainsi traités. Parmi ces prisonniers bleus ayant échappé à la fusillade, se trouvait le père du sculpteur David d’Angers, qui plus tard, républicain bon teint, fit de ce général blanc le plus inspiré de ses marbres. Ne manquez pas d’aller le voir dans l’église, si vous passez par Saint-Florent-Le-Vieil. La générosité de l’un inspire le génie de l’autre, et vous ne savez plus très bien partager ici votre admiration. À cette hauteur, les ‘camps’ ne sont plus reconnaissables.

   Courage, mes amis : l’Esprit nous fait toujours des signes, même quand les jours sont plus courts que les nuits. D’ailleurs, voyez : c’est bientôt l’équinoxe.

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