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"À Dieu Monsieur Gardeil..."

Témoignage de trois petites sœurs de l'Agneau o.p.

   Fin août de cette année… Anciennes élèves du lycée Saint-Jean de Lectoure, nous sommes allées visiter Monsieur Gardeil une dernière fois. Il n’avait pas seulement été notre professeur de philosophie, ni celui qui, quand il nous gardait à l’étude du soir, tel un conteur merveilleux, nous lisait des pages, et des pages (Henri Michaux, Claudel, Bernanos, Racine, Pascal, Péguy, Verlaine, Katherine Mansfield… et tant d’autres) qui faisaient pressentir à notre âme une Vie nouvelle… un Feu caché au cœur de la terre, le grand secret du monde, une Compassion éternelle…, mais il avait été et il était, et d’une manière encore plus vraie là sur son lit d’hôpital, un père pour nous. Par son offrande silencieuse. Nous avons recueilli son silence, et, dans ce silence, quelques paroles d’or purifié au creuset de l’Épreuve :

   « Les mots de ma prière se raréfient, maintenant je dis : Notre Père… et je suis comblé. Ah ! On peut ajouter aussi… Qui es aux cieux… ! Nous les chrétiens, nous avons tout ! »

   Silence habité…

   « Il y a trop de paroles dans le monde… On ne devrait garder que celles qui ont de la consistance… »…

   « Je reste avec le bonheur d’avoir mis les jeunes en contact avec le Feu du centre de la terre ! »

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   Oui, c’est vrai ce que vous dites là, Monsieur Gardeil… Vous nous avez fait toucher ce Feu du centre de la terre comme d’autres ont touché le Verbe de Vie ! Nous avions dix-sept ans et on se souvient… on se souvient de ces heures dites de religion au cours desquelles, découvrant les trésors de la Littérature, du Théâtre, de la Musique et même du Cinéma, vous nous éveilliez, sans nous en avertir, avec l’enthousiasme de votre voix puissante de Gascon, à la Présence de Dieu cachée ou manifeste dans ces œuvres d’Art. Mais c’était surtout l’éveil de nos cœurs à sa Présence cachée là qui était alors enjeu… Nos mémoires ont gardé comme une visite de la grâce ce jour où vous nous fîtes voir le film de Fellini La Dolce Vita et surtout la scène finale qui nous éblouit… Le film se termine sur le visage d’une jeune fille, sur son sourire si bon, si vrai, si transparent d’un amour gratuit, offert : « Tout ce qui est vrai et bon respire le pardon. » (Dostoïevski) Cette scène finale nous illumine par sa beauté, par sa vérité, par son espérance et nous révèle sans explication théologique le mystère de notre rédemption, le mystère de la Grâce : nous avons tout compris ce jour-là… Ce sourire est offert à l’homme déchu pour le sauver de la mort de son cœur. À nous aussi, ce sourire est offert gratuitement : la grâce nous fait retrouver le chemin de l’innocence perdue…

   Et aussi cette autre visite de la Lumière qui brille dans les ténèbres et que les ténèbres n’ont pu atteindre : le Requiem de Mozart… Notre cœur est bouleversé par l’irruption de la lumière qui nous fait passer de la mort, de la tristesse de la mort à la joie de la vie éternelle. C’est véritablement une expérience de foi en la Résurrection… Nous avions dix-sept ans, et ce fut pour nous un temps de grâce.

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   La grâce comme un pardon, don de l’Amour dans sa plénitude, – comme vous aimiez à nous faire remarquer ce petit « par » qui accomplit tout ! –, ce Feu du centre de la terre, nous visite et fait déborder dans l’abîme de notre misère la charité brûlante du cœur de Dieu.

   Ce primat de la charité dans nos pauvres vies de pécheurs, « de gens qui restent enfoncés dans l’âge qui avance, dans la paresse et l’épaisseur de leur peau, dans cette morosité des gens qui n’aiment guère », voilà l’héritage, ce jour de notre dernière rencontre, que vous nous léguez encore simplement par toute votre attitude… Car vous connaissiez l’humilité de celui qui se sait tout-petit devant le Seigneur. Et vos grandes envolées intellectuelles ne vous ont pas éloigné du chemin des tout-petits, des pauvres du Seigneur, de ceux qui ont faim et soif d’aimer. Ce désir d’aimer vraiment en puisant à la source de la Compassion éternelle vous habite, et cela se lit sur vous comme dans un livre ouvert. Vous nous dites : « Oh ! j’ai reçu une grâce… C’était le même jour où j’ai appris la récidive du cancer… Ce jour-là, je suis allé à la messe, et ce jour-là, je les aimais tous ! Et je voyais bien que cet amour ne venait pas de moi, c’était un amour universel… »

   À la fin de notre rencontre, nous vous avons chanté : « Qui regarde vers Jésus de Nazareth voit le Royaume de Dieu, qui regarde vers Jésus de Nazareth resplendit de la gloire du Père, car il voit en son cœur l’icône du Dieu invisible : Jésus de Nazareth, Roi des rois et Seigneur des seigneurs. » Il y a eu encore un silence de votre part, et puis votre dernière parole : « C’est tout ce que je voulais. Il n’y plus rien à dire. »

   Oui, cher monsieur Gardeil, À DIEU… Nous avons gardé précieusement quelques-unes de vos lettres, et il y a des lignes que nous connaissons par cœur tant elles nous parlent quotidiennement. Par exemple :

   « Bientôt vous recevrez mon livre sur l’eucharistie, mais ce n’est qu’un livre, vous savez. Et un peu fermé ? Soyez vous-mêmes un livre ouvert. Je vous embrasse. Ne cessons pas de nous aimer. »

 

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