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"Naissance d'une vocation de cantatrice"

Témoignage de Béatrice Uria-Monzon
artiste lyrique

mots-clés: École, Musique, Voix, Foi, Amour 

Entretien publié dans la revue Kephas

   Madame, vous avez bien connu Pierre Gardeil ; quelles ont été les circonstances de votre rencontre ?

   L’histoire a été la suivante : j’étais en Terminale à Agen, au Lycée Bernard Palissy et j’espérais presque être collée à mon bac parce que je ne savais pas vers quoi m’orienter ; avant même de passer le bac, je m’étais inscrite à Lectoure, chez Pierre Gardeil, dans cette école réputée. Dès le premier contact, j’avais été impressionnée par la personnalité de cet homme, qui m’avait dit avec beaucoup de générosité : « Tu viendras l’année prochaine, mais passe tout de même ton bac pour le moment. » Ce que j’ai fait ; et à ma grande déception, allais-je dire, je l’ai eu, mais sans toujours savoir vers quoi m’orienter. Mes parents m’ont conseillé d’appeler Pierre Gardeil pour lui expliquer la situation. Après avoir longuement parlé avec lui, il m’a confirmé que si mes parents n’y voyaient pas d’inconvénient, malgré cette situation particulière, il maintenait sa proposition de passer un an à Lectoure. Vous pouvez facilement imaginer quel statut un peu spécial allait être le mien.

C’est alors grâce à lui que j’ai découvert l’opéra. Il avait monté cette chorale dont vous avez dû aussi faire partie comme tant d’autres ; son fils Jean-François, que j’avais aussi rencontré, était à l’époque à l’École de l’Opéra. Vous vous souvenez certainement des moments où Monsieur Gardeil nous faisait écouter des opéras dans son salon, de la chorale de l’école… Ce fut une rencontre très forte, essentielle dans ma vie, mais aussi dans celle de beaucoup d’élèves, parce que je crois que la musique et l’art en général sont essentiels dans une vie, dans la construction d’un être humain. Il a su donner le goût et faire découvrir ce monde à un grand nombre de personnes. Certains en ont fait leur métier, comme Caroline Fèvre encore ou comme moi, mais il a ouvert cet univers à de très nombreux jeunes.

   Qu’est-ce qui vous aura marqué plus particulièrement chez lui ?

   Pour moi, la découverte du chant permet de faire se connecter la terre et le ciel, avec mon corps et mon esprit – je parle à un prêtre, vous le savez donc par votre état. Le chant a été le révélateur essentiel de ma vie. Au cours de ces années difficiles, de doute, d’éveil à la vie d’adulte, le chant a joué ce rôle. Pierre Gardeil avait cela de très profond qu’il avait des racines extrêmement fortes ; il était très enraciné dans sa terre, dans cette région du Gers, où il a toujours vécu, grandi, et qu’il a toujours chérie. Pour moi, grâce à la foi, il était connecté, ou en vibration avec le ciel.

Cela a dû être le flambeau de sa vie. Durant plus de vingt-cinq ans où je l’ai connu, je crois que c’était là que résidait sa force.

   Vous êtes restée en contact après le lycée ?

   Je suis restée en contact avec lui tout le temps, de façon plus ou moins épisodique, mais les dernières années un peu plus. J’allais très régulièrement le voir, je venais donner de mes nouvelles, prendre des siennes ; puis ma fille est allée elle-même à partir de la 3ème à Lectoure, à Saint-Jo, puis Saint-Jean. Monsieur Gardeil n’enseignait plus mais il continuait à recevoir des élèves. Gentiment, parce que c’était ma fille, il la recevait de temps en temps pour déjeuner. Au moment où il est devenu malade, j’étais un peu plus proche encore et chaque fois que j’ai pu le faire, je suis allée le voir.

Les derniers jours à l’hôpital ont été aussi une leçon de vie de foi. Voir cet homme dans une telle souffrance physique, mais avec son regard lumineux et plein d’amour pour tous les gens qui l’entouraient… Il avait besoin de dire à tous les gens qu’il les aimait, de le leur exprimer de vive voix. Et il était dans un état d’acceptation extraordinaire, sans aucune peur, parce qu’il était porté par sa foi, par cet amour de Dieu. Autant, durant tout sa vie, ce fut un homme qui m’a impressionnée par ce qu’il a été, par sa personnalité, mais à la fin, cela m’a vraiment chamboulée. Il a été aussi très entouré, accompagné. Pour moi qui suis parfois dans des grands moments de doute par rapport à ma foi, il a été une leçon jusqu’au dernier moment, et c’est sans doute ce dernier moment que je retiendrai le plus.

 

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