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Anglais culbutés
Extrait de La Télé sans écran

mots-clés: Sport, Guerre, Écriture, Polémiste 

   Suite aux recherches menées à la demande de plusieurs correspondants, nous avons trouvé cette courte liasse inédite dans le fonds « Saint-Simon ».

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   La direction du musée du Louvre, département des manuscrits :

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   « Le samedi qui suivit la saint-Joseph, il y eut des nôtres aux Anglais une forte picoterie dont quelques-uns de ces Bretons assurèrent qu’ils la voulaient vider sur le pré. Ce fut une étrange prétention.

   Le Roi avait depuis peu confié l’élixir de nos troupes à un cadet de Gascogne du nom de Fouroux, et n’eut pas à s’en repentir. Ce sieur Fouroux, courtaud et rare de poil, s’accommoda assez de la perruque, quoique nouvelle pour lui. Il avait le jargon de la soldatesque et s’en faisait obéir  comme de chiens couchants. D’ailleurs, d’extraction nulle : des marchands de la place d’Auch.

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   Est-ce empire du fort en gueule ou, comme il fut murmuré depuis, provision de cette liqueur d’Armagnac dont il savait de naissance le roboratif, et qu’il aurait fait ingurgiter aux mieux acrêtés de nos officiers avant la bataille ? Toujours est que les nôtres parurent avec un air de résolution qui ne céda pas à la clameur si outrée du bas peuple rameuté par les gazetiers insulaires à fins, écrivaient-ils, de jouir pleinement du spectacle de notre perte. Ces gens-là avaient apporté la bière à tonneaux pour charger leur haleine au plus fort des imprécations qu’ils nous déversaient dans leur patois. (La bière bue avec la honte, il ne leur resta que de l’aller pisser dans la Tamise, qui n’en changea guère de couleur.)

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   Le déduit des événements occuperait un chapitre entier de ces Mémoires, tant la journée abonda en inventions guerrières, défenses résolues, entreprises hardies, avec l’émotion pour les regardants ; mais si j’eus la satisfaction que rien ne m’échappa, j’ai la douleur de ne le pouvoir rendre. Je ne marquerai donc ici que le gros des choses, dans la vue de fixer les contours d’un affrontement qui mérite de faire époque, tant pour l’instruction de nos neveux que pour l’illustration de nos armes.

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   La première de ces armes fut la moins prévue par les Anglais, qui depuis Crécy et Azincourt faisaient des gorges chaudes sur l’impotence de notre artillerie. Le seigneur de Laporte, vieux combattant du Languedoc, où il avait pu convertir force protestants, était rompu à son usage, si utile dans une contrée où le nombre incroyable des petits vallonnements permet à quelques couleuvrines bien placées de régir l’accès à leurs plaines étroites, qu’ils appellent là-bas des “plainiers”. Tard venu dans les armées du Roi, Laporte y rétablit le service des canons qui par plusieurs fois, et à l’impromptu, mirent à terre plusieurs des leurs, et reconduisirent sur leurs arrières, rageurs et penauds, des fantassins qui nous croyaient déjà terrassés.

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   Il faut avouer que leur infanterie de ligne était pour ébranler les mieux affermis. La viande rouge dont ce peuple fait son principal donne à leurs trognes sans grâce, épaissies de sang violet, cet air de basse rumination et d’appétit grossier qui est le fond de la philosophie empirique. Qu’on lise jusqu’au bout, si on le peut soutenir, 1’“Essai sur l’entendement bovin”, de leur fameux Locke, ou le “Traité de la nature bovine” par quoi un certain Hume enchanta, très sottement à mon avis, nos prétendus philosophes d’un siècle privé des vraies lumières, et l’on comprendra qu’une rudesse venue du fond de leurs âges sans lettres ni ornement d’aucune sorte donne aux plus vaillants de ces contrées un rogue et un musculeux bien faits pour déconcerter des courages ordinaires.

   Cette force vulgaire s’augmente d’une science – toute mécanique – des déplacements ordonnés, science qu’ils tiennent de leur chef, le sire de Beaumont, descendant d’un transfuge de nos troupes, fort huguenot à ce qu’on m’a rapporté, et qui trouva en Angleterre le honteux asile que cette nation donna toujours à l’hérésie. La rage de ce Beaumont, si visible à mesure que s’avançait leur déroute, me chatouilla à plus d’une fois. Mais quand je le pus observer dans sa retraite au fond d’un sombre corridor, ce fut un autre spectacle. Le plus poignant dépit, la plus noire amertume se peignaient à plein sur sa figure. Le malheureux s’écrasait de mutisme, les yeux fichés à terre, le nez dedans, cherchant en vain le quoi d’une si complète déconfiture, et mon élargissement fut sans borne de voir retourner sa double bâtardise de religion et de princerie au néant d’où l’avait fait sortir l’audace des hordes saxonnes.

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   Les nôtres cependant, de fierté revêtus comme d’armure éclatante, avaient tenu le choc et rendu coup pour coup. Le chevalier d’Hospital surtout, dont le nom seul éveillait chez les plus obscurcis de très sinistres présages, désolait leur première ligne bientôt rendue borgne par ses assauts furieux. Il est issu de cette vieille souche basque dont les vertus militaires ont fait trembler jusqu’à Charlemagne, au temps des preux, et qui procure encore aujourd’hui au roi d’Espagne un très épineux tracassin. Autour de ce vigoureux, notre infanterie tenait le carré sans faiblesse ; plus de trente fois l’ennemi crut le rompre, mais se dressait alors au noir de la mêlée le casque étincelant du comte de Toulouse dont la seule vue renflammait les ardeurs de nos soldats.

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   Ce jeune général ouvrit lui-même dans leurs rangs les deux brèches formidables par où notre cavalerie engouffrée allait les culbuter jusque dans leur camp. Le jeune Codorniou fit pour ce coup une action bien remarquable. Tout près de déborder les ennemis qui galopaient à sa rencontre, ce chevalier les persuada qu’il les voulait contourner, et soudain piquant des deux au centre de leur ligne où se mit la plus vilaine confusion, il ouvrit ainsi un large passage à son écuyer Pardo qui put tout à son aise franchir leurs derniers retranchements. La désolation qui s’y répandit fut telle que l’ennemi ne put s’en remettre, et n’osa plus rien de décisif. La suite de la bataille ne fut qu’en longues canonnades, l’Anglais craignant désormais d’engager ses cavaliers. Quelques hourras saluèrent bien plusieurs boulets qui portaient au but, mais que pouvaient ces maigres avantages contre la résolution des nôtres de ne rien lâcher d’essentiel ? Le prince des ténèbres lui-même voulut en vain nous déconcerter de ses stridences lugubres, le Dieu des combats avait prononcé depuis longtemps. Le soir tombant vit la retraite de leurs légions boueuses cependant que nos soldats faisaient retentir la plaine de leurs cris. On assure qu’ils allumèrent quelques feux de joie parmi la ville conquise jusque fort tard dans la nuit. Si quelque hérétique y périt, c’est ce qu’on n’a pas su. Le mal n’en serait pas fort grand. »

   (23/03/81)

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