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La Clef des chants
Extrait de La Télé sans écran

J'organise un festival de musique. «Ces enseignants, pensent mes amis agriculteurs, toujours les mêmes. Non seu­lement ils sont privilégiés, mais encore ils s’en vantent! »

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Attendez, chers amis. Les plaisirs du chant sont variés. Je voudrais par ce petit récit (authentique) vous montrer la face cachée de la clef de sol.

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Nous voici dans une ravissante bastide dont la place, tout à l’heure, va gentiment s’illuminer pour nous faire fête. Bistrot à l’ancienne, cornières pavées, indigènes aimables... tout pour nous plaire. Vient l’heure du «raccord ». On ne peut pas répéter en plein air: le soleil ferait souffrir les violons. Il n’y a qu’à aller à l’église. Qui est fermée. Des ouvriers travaillent tout près. «Qui est responsable de la clef de l’église? —C’est la mairie ». Par chance les deux bâtiments sont contigus. Mais il est 5 h 10. La mairie, largement ouverte à notre arrivée, vient de fermer. Il y a du monde dedans, mais à 5 h 10, si on peut toujours en sortir, on ne peut plus y entrer. Et nos voix puis­santes ne passent pas le mur de la clôture légale.

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Visite à un commerçant: «Pourriez-vous téléphoner à la mairie? —Tout de suite. » Et nous téléphonons à des gens qui sont à 10 mètres de nous. C’est le progrès. Mais le progrès organisé: la clef n’est pas chez la secrétaire, elle est chez la marguillière, au bout du village. Quelqu’un s’y précipite et revient haletant: «Elle arrive!» Avec la hâte de son Age véné­rable. I 1 n quart d'heure après, la voici : elle a justement laissé ce soir la clef à Monsieur le Curé ; elle sait bien où on la range, mais l’endroit est fermé par une autre clef dont elle ne dispose pas puisque c’est la mairie...

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Heureusement un organisateur s’approche pour résoudre notre problème : « Mais bien sûr, je vais vous faire ouvrir, ah ! seulement la mairie est fermée. Je pensais que vous seriez là avant 5 heures. — Mais nous y étions ! —Alors vous auriez dû en parler tout de suite à la secrétaire». C’est le cirque. Les chevaux tournent, les affaires du bistrot aussi. Il faut joindre M. le Curé. Il est justement au presbytère, et il va venir. Non sans avoir fait le tour de ses ouailles. Nous l’apercevons au fond de la place, affable, tout à tous, donnant un bout de son temps à la bavette du boucher, un autre aux impressions de la couturière... Pas la moindre intention de nous ignorer, puis­qu’il vient jusqu’à nous, saint Pierre souriant qui va enfin ouvrir la porte aux âmes d’un purgatoire ensoleillé.

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Enfin, il l’ouvrirait s’il avait la clef. Mais, comme tous les soirs, il l’a remise au garde-champêtre qui lui-même, de tout son zèle républicain, l’a précisément rangée dans l’endroit ad hoc... qui est fermé à clef. ALORS, LA CLEF DE LA CLEF? « Hé bien, disent les ouvriers, c’est nous qu’on l’a puisqu’on y travaille. —Vous ne pouviez pas le dire tout de suite? — Mais personne ne nous avait dit qu’il y avait dedans la clef de l’église ! D’ailleurs, pour donner la clef de l’endroit de la clef, il nous faut un ordre du maire. »

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Par bonheur, l’ordre du curé suffira, et nous bénissons ce petit bout de pouvoir temporel en fer rouillé que Marianne a laissé à la cléricature. Le raccord aura lieu, et même le concert !

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«— C’était bien? demande quelqu’un.

—   Oui, répond un auditeur. Mais vous aviez l’air un peu crispé. Je ne sais pas pourquoi; la nuit était si douce... »

   

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