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Films d'hier et d'avant-hier
Extrait de La Télé sans écran

mots-clés: Cinéma, Théâtre, Art 

   Laissez-moi remonter le temps d’une semaine et, vu mes sujets, de beaucoup plus. Avez-vous vu le Melville du lundi 11 (F.R. 3) ? Ce « Samouraï » ne fait déjà plus très peur ; encore un peu, et il fera rire. C’est un fait : les films à l’esbroufe vieillissent mal. L’intrigue est banale, le tempo désuet ; on tourne autrement aujourd’hui, ce qui ne veut pas dire que nous n’avons pas notre esbroufe, qui elle aussi prendra des rides.

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   Seule la vérité ne vieillit pas, l’élan, la force, l’innocence, ce qui vient du cœur et va au cœur. Mais ce qu’un metteur en scène fabrique pour épater la clientèle ne lui assure pas une bien longue gloire. Qui peut encore prendre au sérieux ce Delon à chapeau gris jouant les impassibles, la bête solitaire et cruelle ? Mauvaise B.D. ; elle révèle, chez le spectateur gourmand, des fantasmes bien puérils.

   Maintenant, pour la petite frange du public un peu fragile, un peu débile, tous ces revolvers qui aboient dans la pogne du tueur énigmatique restent sans doute assez malsains. On ne pourrait pas montrer autre chose ?

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   Le lendemain, nous avions meilleur choix. « Naïs » sur F.R. 3, « Fanfan la tulipe » sur Antenne 2. Fernandel, Gérard Philipe ; on n’en trouverait pas deux plus dissemblables. Mais tous deux superstars. Pourquoi ?

   Si l’on peut dire ce qu’est une star (quelqu’un qui a du talent, et qui, dès son réveil, le brosse pour faire luire), on hésite devant la superstar : le secret en est au-delà des qualités, et même de l’ambition, peut-être dans une identification à quelque chose de très enfoui en nous ou dans notre époque. Difficile à dire quoi. Si on essayait quand même ?

   Gérard Philippe est la grâce cynique. Charme infini, et pourtant dominé par ce sourire qui brave les lois. Trop profond pour être un coureur, trop libertin pour un romantique, trop cérébral pour un passionné, c’est l’anarchiste aristocrate, l’individu qui ne tient son mérite que de soi-même et qui semble là au nom de tous. Idéal de dandy devenu l’idole des masses par l’effet démocratique de l’après-guerre. Le dessus du panier, que l’obscur légume n’atteindra jamais.

   Fernandel est le fond, celui sur qui pleuvent les épluchures, bossu, ou cocu, ou couillon. Mais la clarté même, la fraîcheur, surtout quand Pagnol signe les dialogues. On dit « bon enfant », je pense un peu plus : un cœur pur. Alors… j’ai laissé Fanfan pour revoir Naïs…

 

   Un rêve m’a dit cette chose étrange.

   Un secret ancien, aujourd’hui perdu :

   Les petits bossus sont de petits anges

   Qui cachent leurs ailes sous leur pardessus.

 

   Vendredi 1er mars, ne manquez pas « Le Fleuve ». Je veux croire qu’après trente ans ce beau Renoir n’est pas écaillé. Son plus beau, il me semble, avec « La Règle du jeu ». C’est un film « admiriste », exactement stoïcien, si l’on veut se souvenir que le stoïcisme, d’origine orientale, signifie une harmonie profonde, un consentement à l’être, plutôt qu’une tension contre le destin. « Mettre son âme au diapason de l’âme du monde. »

   Climat panthéiste, et non pas chrétien, mais d’une élévation admirable. D’une paix… Je voudrais en parler encore : je le ferai certainement, si les images me donnent tout ce que ma mémoire espère. Rappelez-vous : vendredi 1er mars, à 23 heures, sur Antenne 2, « Le Fleuve ». C’est trop tard, je le sais, mais vos amis ont peut-être un magnétoscope ?

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