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"Pierre Gardeil, un maître"
Témoignage de Bernard Gallina
Ancien élève, professeur de littérature française à l’université d’Udine (Italie)

C'était une journée de printemps des années Soixante, un samedi après-midi. Nous étions à l'étude attendant avec impatience de rentrer chez nous. On nous avait annoncé qu'aucun surveillant ne viendrait assurer sa présence et nous saisîmes cette occasion pour bavarder, organiser le programme du lendemain. Certains pensaient aux interrogations du lundi.

 

On nous annonça tout à coup qu'un Professeur, Monsieur Gardeil, allait assurer la surveillance. Notre « nouveau » surveillant était le Professeur de Philosophie des Terminales, l'un des Maîtres de l'École Saint-Joseph avec l'Abbé de Lartigue. En un instant cessèrent les bavardages, on aurait entendu une mouche voler ou presque. Et il semblait que nous pouvions nous ranger parmi les grands, alors que nous n'étions qu'en troisième.


Après un moment initial d'incertitude, nous retrouvâmes une certaine tranquillité. Le Professeur nous posa quelques questions sur certaines particularités du français quotidien, avant de nous apporter des éclaircissements sur des concepts philosophiques et religieux.

 

Il le fit avec une grande simplicité et une grande clarté de langage, nous introduisant dans un univers que nous n'avions jamais abordé. Je sortis de la classe, profondément frappé par le caractère nouveau de la leçon, par la personnalité du professeur, en m'avouant que j'avais été profondément touché par sa vision de la vie religieuse, de la vie tout court. Et je crois que la
plupart des élèves de la classe partageaient la même impression.


Nous eûmes l'occasion de suivre de nouveau les leçons de Pierre Gardeil lorsqu'en classe de première il assuma l'enseignement des cours de français, de géographie, d'histoire. Il nous apprit à focaliser notre attention sur les points les plus importants d'une matière: par exemple, en littérature, les grands classiques: (Corneille, Racine, Molière, La Fontaine, Pascal, Bossuet en ce qui concerne la littérature du XVIIe; Chateaubriand, Hugo, Baudelaire et le symbolisme, Flaubert et les réalismes en ce qui concerne celle du XIXe). Il nous apprit aussi à pénétrer dans le microcosme que constitue l'écriture, à en capter le sens, à en relever le style, à en entendre la musique. Il nous faisait déjà percevoir chez ces grandes figures une interrogation sur la recherche de la sagesse, sur le sens de l'existence que nous allions retrouver dans le cours de philosophie.


En terminales, il entreprit un ample tour d'horizon allant des philosophes présocratiques jusqu'à ceux d'aujourd'hui. S'il s'appuya sur une anthologie des grands textes philosophiques ou des manuels comme ceux qui concernent la connaissance ou l'action pour nous faire accéder à ce savoir, il nous livra également ses réflexions personnelles sur les grands thèmes de la philosophie dans un cours manuscrit qui facilita notre compréhension de cette matière, en grande partie nouvelle pour nous. Pour reprendre une définition de L. Meynard, il nous dit en substance ceci: «Philosopher c'est réfléchir sur toutes les activités humaines» (1). Nous nous souvenons des pages qu'il consacra à la philosophie grecque, à Descartes dont nous lûmes Le Discours de la méthode, à Pascal, à Rousseau, à Kant, à Hegel, au marxisme, à Bergson, à la psychanalyse, à l'existentialisme.

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Pierre Gardeil aimait établir des parallèles avec d'autres manifestations de la créativité humaine, ouvrir des horizons nouveaux, ou méconnus: Cervantes, Shakespeare, Dostoïevski, Tchekhov mais aussi un écrivain lithuanien de langue française comme Milosz en ce qui concerne la littérature; Le Greco, Velazquez, les grands peintres de la Renaissance italienne en ce qui concerne la peinture; Monteverdi, J-S. Bach, Vivaldi, Mozart, Beethoven, Debussy, Ravel dans le domaine de la musique; (il prenait alors un soin particulier à nous la faire écouter, apprécier en apportant son gramophone).


Et enfin les grands cinéastes, Bergman, Fellini, et last but not least, le Pasolini de l'Évangile selon saint Matthieu, où sous l'évocation de la misère humaine il décela un grand élan de foi.
 

Cet homme, si attaché à son Astaffort natal, à son Lot-et-Garonne possédait un regard panoramique qui embrassait de vastes horizons, et il contribua grandement à nous les faire entrevoir, à les interroger.
 

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1. L. Meynard, La connaissance, Classe de Philosophie et Propédeutique, Librairie Classique
Eugène Belin, 1963, p.9. Retour au texte

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